11 janvier 2020.
Aujourd’hui, nous quittons la Thaïlande pour nous rendre au Laos par la frontière méridionale de Chong Mek/Vang Tao. Le Laos est un des pays les plus pauvres que nous traverserons durant notre voyage mais il est aussi connu comme le pays du sourire, un endroit paisible où règne encore un réel sentiment de liberté. Et, ça, on aime !
Pour les connaisseurs, le Laos rappelle la Thaïlande des années 90. Mais le pays est en mutation profonde ; il est notamment convoité par son puissant voisin chinois (les « nouvelles routes de la soie »), tout en restant sous influence thaïlandaise et vietnamienne. Un beau bordel, en somme ! Autant dire, que la jeunesse locale ne sait plus très bien comment se situer et désavoue, un peu plus chaque jour, le pouvoir en place. Les choses n’en resteront pas là, c’est certain.
En attendant, les voyageurs qui connaissent cette terre de longue date regrettent l’authenticité qui fuit à grandes enjambées. Pas de temps à perdre donc…
Nous avons choisi d’arriver au poste-frontière à pied avec nos sacs à dos pour éviter les embrouilles et ne pas reproduire le sketch de la frontière cambodgienne.
Mais ces précautions ne sont pas suffisantes et, cette fois, c’est l’officier de l’immigration – en l’occurrence une officière – qui nous réclame « la taxe spéciale voyageur occidental » en plus du tarif officiel affiché en gros au-dessus de sa tête... Non, mais faudrait voir à pas abuser ! Et là, je vois dans le regard de ma femme que l’histoire va finalement prendre plus longtemps que prévu ! Bon, je vous passe les détails… négociations… attente… 30 minutes… renégociations… attente… 1h… Lassés, nous envoyons finalement Lisa et Alexis faire une troisième tentative à notre place… Lisa tend les dollars avec sourire et conviction ! Notre officière récalcitrante est visiblement surprise ; elle sourit en retour et tamponne les passeports comme si de rien n’était. On aurait dû commencer par-là !
Arrivés de l’autre côté de la frontière nous trouvons rapidement un habitant de Vang Tao qui veut bien nous déposer 30km plus loin, à Pakse, pour les quelques baths qu’il nous reste.
J’adore quand un plan se déroule sans accroc !
Ces petits défis du quotidien contribuent au charme de ce voyage. La Chine, l’Inde, le Japon, le Vietnam… Tous ces pays traversés et tous les petits succès accumulés depuis maintenant 5 mois nous ont donné confiance en notre capacité de voyager librement, sur des itinéraires parfois peu fréquentés comme c’est le cas aujourd’hui. Cela n’a l’air de rien, mais dans une journée comme celle-là il y a une bonne part d’improvisation : on connait le point de départ (Ubon Rachatani en Thaïlande) et l’endroit où on voudrait être le soir (Pakse au Laos). Entre les deux, il faut trouver des solutions en essayant de respecter le budget : négocier un tuktuk pour nous conduire à la gare routière, trouver un bus qui nous dépose à Chong Mek, traverser la frontière à pied, trouver un moyen de transport côté laotien et, pour finir, un endroit où dormir. Quand le voyage est organisé ou que le budget est conséquent, rien de plus facile. D’ailleurs, en 10 ans de voyage en couple, on n’avait jamais vu le problème. Mais avec une centaine d’euros à 5, sans bien connaitre la région et avec une préparation un peu minimaliste, c’est une autre paire de manches et on y passe facilement la journée ! Quand on remplit tous les objectifs et qu’en plus on termine dans un hôtel avec une piscine sur le toit et coucher de soleil sur le Mékong, on a vraiment le sentiment du devoir accompli, même si dans les faits, on n’a fait que 150 km!
Dans les jours qui suivent, nous louons une voiture pour explorer le plateau du Boloven et ses splendides cascades.
Puis nous descendons en songthaeo (une sorte de taxi collectif) à l’extrême sud du pays dans la célèbre région des 4000 îles, magnifique havre de paix sur le Mékong, seulement interrompu par les chutes de Khone qui marque la frontière avec le Cambodge. Encore un coin hors du temps. Nous parcourons la région en bateau et à vélo.
Sur l’île de Dong Tong, au détour d’une cascade, nous tombons par hasard sur nos copains Pierre et Violaine que nous avons quitté au Vietnam il y a 6 semaines… Quel plaisir de les revoir ici !
Fin de la flânerie dans ce petit coin de bout du monde. Nous entamons notre remonté vers le nord en suivant la fameuse route 13, la grande route du pays qui est tellement pourrie que je me demande encore comment nos copains MC et Alex ont fait pour ne pas exploser leur camping-car l’an dernier. Le plan – on se donne 2 ou 3 semaines – est d’aller jusqu’à Luang Prabang prendre un slow-boat pour nous ramener dans le triangle d’or en remontant le Mékong. En attendant, nous avons prévu quelques belles étapes… A commencer par Kong Lor.
Nous prenons un songthao au départ de Thakhek. Les banquettes sont un peu rudes mais depuis que nous sommes au Laos, nous aimons bien ce moyen de transport quand les distances ne sont pas trop longues. C’est économique, c’est aéré et c’est très local ! Nous nous sommes levés assez tôt et les enfants se rendorment un peu comme ils peuvent dans le taxi...
L’objectif du jour est de rejoindre le village de Kong Lor à quelque 180 km de distance. Ce n’est pas énorme mais le plan est assez aléatoire. Notre véhicule doit nous laisser à un embranchement à 1h30 de route. De là, si tout se passe bien, nous devrions croiser la route d’un bus qui part vers l’est et qui pourrait nous laisser 35 km plus loin à une minuscule gare routière au milieu de nulle part où nous devrions pouvoir trouver un autre taxi collectif pour Kong Lor qui part en début d’après-midi. Une combinaison audacieuse ou un grand n’importe quoi, suivant le point de vue ! Comme d’habitude, la famille part confiante… on verra bien.
Et aujourd’hui est un jour « avec ». Tout s’enchaîne comme il faut. Nous arrivons un peu avant midi à la dernière jonction. Un endroit incroyable ! Le soleil est au plus haut et brûle la terre ocre qui entoure la cabane en bois qui sert de gare routière. Un vrai paysage de far-west asiatique, de far-east donc ! Un vieux panneau accroché sur la façade indique quelques destinations et les tarifs associés.
Un papa lave son tout-petit dans un grand bidon qui jouxte la cabane. Les gens nous sourient et s’amusent de voir nos enfants jouer au Mille Bornes sur la vieille table en bois. Malgré les conditions de vie précaire dans cette région, il règne une atmosphère sereine. Il y a une ambiance comme on dit.
Notre véhicule arrive enfin. La vallée qui serpente entre les montagnes est spectaculaire. L’énorme nuage de poussière que soulève notre pick-up, nous rappelle que nous ne sommes plus tout à fait sur les grands axes !
Nous arrivons au bout du chemin, au village de Kong Lor. Le soleil est encore haut et nous avons le temps d’aller découvrir sa fameuse grotte, une merveille géologique longue de 7km, traversée par une rivière souterraine qui se parcourt en barque. Frontales indispensables pour affronter les ténèbres ; une véritable expédition spéléologique. Certainement un des plus beaux sites naturels du Laos. On ne regrette pas le déplacement !
Dans la soirée, nous faisons la connaissance de deux familles françaises qui voyagent comme nous autour du monde : Jérémie, Marie et leurs 4 enfants ainsi que Tina, Xavier et Sandro. En tout cas, les enfants sont ravis de trouver des copains pour jouer. Nous recroiserons Jérémie et sa famille quelques semaines plus tard dans un bus au nord de la Thaïlande. Quant à Tina et Xavier, on a un peu le même parcours jusqu’en Australie… et nous les revoyons 2 semaines plus tard dans le nord du Laos. Le monde est décidément petit.
Nous repartons le lendemain matin à 7h par le Kong Lor-Vientiane, un petit bus qui rallie la capitale en une grosse demi-journée. Enfin normalement…
Arrivé dans le premier col, le petit bus s’essouffle dans la montée. A chaque virage, la vitesse se réduit un peu plus jusqu’à l’apparition d’un magnifique panache de fumée à l’intérieur du bus. C’est la fin. L’engin suffoque. Le chauffeur qui n’en est pas à son coup d’essai sort sa clé à molette, démonte 4 machins, en remonte 3, remet un grand bidon d’eau dans le radiateur. Encore un ou deux coups de tatane dans le vieux moteur et… magie… le bus repart ! Bluffant ! Ça, c’est de la mécanique !
Nous passons la montagne et arrivons dans la vallée. On sent quand même que le petit bus n’est pas au mieux de sa forme. Il toussote, recommence à fumer. Notre chauffeur décide de s’arrêter dans le premier garage venu pour un petit checkup. Et le diagnostic tombe : le radiateur est foutu. En temps normal, dans un pays occidental, cela signifie la fin du voyage. Mais pas au Laos. Ça prendra le temps qu’il faudra, mais le bus finira par repartir. Le chauffeur prête main-forte au garagiste qui démonte tout le bazar pendant qu’un autre gars amène un fer à souder et un gros pot de colle forte. L’opération à cœur ouvert dure trois bonnes heures. Les gars sont d’une débrouillardise sans nom ; pas question de changer la pièce (de toute façon ils ne l’ont pas), il faut réparer coûte que coûte. Les trois types finissent noirs de cambouis et tout transpirants mais le bus redémarre ! Je crois qu’on va faire une haie d’honneur à notre chauffeur en arrivant à Vientiane ce soir. Et ce sera mérité !
Mais, ce n’est pas fini…
Nous repartons… A peine avons-nous fait 20km que le bus s’arrête soudainement. Plus de puissance… la courroie vient de lâcher ! Y’a des jours comme ça… Je crois que notre chauffeur serait resté couché ce matin si on lui avait dit… En France, à ce stade, le gars appelle immédiatement son patron et pose sa démission ou au-moins un arrêt maladie ! Mais pas notre héroïque conducteur laotien qui garde un grand sourire : il emprunte un scooter à la maison d'à côté, retourne au garage pour acheter 2 ou 3 courroies (on ne sait jamais) et revient triomphant une heure plus tard ! Ce type est étonnant. Encore une heure de lutte pour remonter cette satanée courroie et, 2h plus tard… le bus repart, une fois encore !
Nous arriverons finalement à Vientiane, un brin affamé, après 12h de trajet pour 310km parcourus : 25 km/h de moyenne ! Malgré tout, nous laissons à notre chauffeur un bon pourboire afin de lui témoigner notre respect et notre admiration. Quelle leçon de vie !
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